Mots

Ce cadavre est exquis...

Vendredi 22 octobre 2010 à 16:00

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Résumé : Deux vagabonds, Vladimir et Estragon, se retrouvent sur scène, dans un non-lieu (« Route de campagne avec arbre ») à la tombée de la nuit pour attendre « Godot ». Cet homme - qui ne viendra jamais - leur a promis qu'il viendrait au rendez-vous ; sans qu'on sache précisément ce qu'il est censé leur apporter, il représente un espoir de changement. En l'attendant, les deux amis tentent de trouver des occupations, des "distractions" pour que le temps passe.

Mon avis : Depuis le collège, cette pièce ou plutôt son titre m'intriguait. Un jour, j'ai eu l'envie de lire cette pièce dite absurde de Beckett, avant de lire Fin de partie du même auteur dans le cadre du cours de Littérature. Je voulais m'imprégner du style de l'auteur, acquérir quelque base sur le théâtre beckettien avant de l'aborder au lycée. J'ai bien fait ! Cette pièce est une très belle entrée dans l'univers de Beckett, pièce qui l'a rendu célèbre. Avec le recul, je peux même dire que j'ai presque adoré ! C'est à la fois bref, sensible, incompréhensible, cynique, vaporeux, émouvant, agressif, tragique, comique, répétitif... presques tous les qualificatifs peuvent lui être attribués. Cette pièce n'a aucun sens en soi. Et c'est bien là le souhait de Beckett (cf "Morceau choisi", ci-dessous). Pour apprécier la pièce, il faut la voir/lire telle qu'elle vient, la laisser venir à nous, la parcourir des yeux sans pour autant chercher à la comprendre. Cependant, chaque chose a un sens, même ce qui n'en a pas, en a ! Tout vient d'un cheminement de pensées ou d'actions. Alors, il est vrai que nous pouvons trouver un sens à cette pièce ("Godot" = "God" = "Dieu"), ou même psychanalyser Beckett à travers les échanges intersubjectifs de ses personnages, mais je ne pense pas que ce soit le but premier de la pièce. Ne cherchez pas le sens, il viendra tout seul à vous une fois la pièce finie.
Conclusion : Pièce classique de l'anti-théâtre, à voir ou à lire d'urgence !
Ma note : 16/20.

Morceau choisi : Quatrième de couverture, Lettre à Michel Polac, janvier 1952
« Vous me demandez mes idées sur En attendant Godot, dont vous me faites l'honneur de donner des extraits au Club d'essai, et en même temps mes idées sur le théâtre.
Je n'ai pas d'idées sur le théâtre. Je n'y connais rien. Je n'y vais pas. C'est admissible.
Ce qui l'est sans doute moins, c'est d'abord, dans ces conditions, d'écrire une pièce, et ensuite, l'ayant fait, de ne pas avoir d'idées sur elle non plus.
C'est malheureusement mon cas.
Il n'est pas donné à tous de pouvoir passer du monde qui s'ouvre sous la page à celui des profits et pertes, et retour, imperturbable, comme entre le turbin et le Café du Commerce.
Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à la lire avec attention.
Je ne sais pas dans quel esprit je l'ai écrite.
Je ne sais pas plus sur les personnages que ce qu'ils disent, ce qu'ils font et ce qui leur arrive. De leur aspect j'ai dû indiquer le peu que j'ai pu entrevoir. Les chapeaux melon par exemple.
Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s'il existe. Et je ne sais pas s'ils y croient ou non, les deux qui l'attendent.
Les deux autres qui passent vers la fin de chacun des deux actes, ça doit être pour rompre la monotonie.
Tout ce que j'ai pu savoir, je l'ai montré. Ce n'est pas beaucoup. Mais ça me suffit, et largement. Je dirai même que je me serais contenté de moins.
Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, avec le programme et les esquimaux, je suis incapable d'en voir l'intérêt. Mais ce doit être possible.
Je n'y suis plus et je n'y serai plus jamais. Estragon, Vladimir, Pozzo, Lucky, leur temps et leur espace, je n'ai pu les connaître un peu que très loin du besoin de comprendre. Ils vous doivent des comptes peut-être. Qu'ils se débrouillent. Sans moi. Eux et moi nous sommes quittes ».

Lundi 25 juillet 2011 à 18:10

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Mon résumé : "Intérieur sans meubles. Lumière grisâtre." Beckett pose le décor et annonce la pièce par ces cinq petits mots apparemment anodins. 4 personnages, fonctionnant par paire, structurent la pièce : Hamm, tyran aveugle et paraplégique, Clov, jambes de Hamm, Nagg, père de Hamm, et Nell, sa femme, tous deux étant cul-de-jatte. Les parents vivent dans des poubelles : on rejette la maternité (Nell meurt dans l'indifférence générale) et tout ce qui est capable de procréer. "Maudit fornicateur !" lance Hamm à Nagg, la vie est une souffrance (il n'y a qu'à voir les corps des personnages), il faut l'éliminer. Ainsi, Clov se verse de la poudre insecticide dans son pantalon, pour éliminer une puce (trace de vie) et son organe sexuel. Les personnages veulent finir mais ne finissent jamais. "Quelque chose suit son cours." oui mais quoi ? Les "Un temps." envahissent petit à petit la pièce, signe que quelque chose "avance". Mais vers quoi ? La mort ? La fin semble juste être le recommencement. Les personnage jouent, se mettent en scène, Clov, ouvre une deuxième fois les rideaux, Hamm, en véritable cabotin, récite son "roman" adoptant plusieurs "voix". "Cessons de jouer !" supplie Clov, "Jamais !" lui répond à Hamm. La pièce semble être condamnée à ne jamais se finir, pourtant la fin approche et se fait de plus en plus pressante.

Mon avis : Lu dans le cadre du cours de Littérature, 2ème lecture de l'année.
Ce n'est pas évident de donner un avis sur une telle pièce. Beckett est si intense et dérisoire. J'aime et je n'aime pas.
Les pièces absurdes, en général, j'aime beaucoup. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, à la lecture du résumé ou à la vue de la tête de Beckett (ici), FDP est une pièce drôle. Beckett mélange absurde, comique, tragique avec brio. D'ailleurs, ces registres se confondent totalement : ainsi Nell dit "Rien n'est plus drôle que le malheur. C'est la chose la plus comique au monde". Les registres s'interpénètrent pour n'en former qu'un, le registre beckettien. Alors même que les personnages sont handicapés, cruels, il m'est arrivé de sourire pour une réplique inattendue ou une situation étrange.
Le théâtre beckettien est cependant très "intellectuel" (mot à prendre avec des pincettes). Beckett, malgré un manque de sens assumé, critique, par exemple, la figure du romancier à travers "le roman" de Hamm. Il se joue des codes théâtraux et invente un nouveau théâtre. On a souvent entendu dire que Beckett est un théâtre de l'absurde, certes, quand on lit Beckett, on a l'impression de ne pas trop "saisir" ce qui se passe. Cependant, l'absurde désigne plus un mouvement littéraire d'idées (Sartre, Camus...), ce que refuse véhémentement Beckett. Il serait plus juste de parler d'anti-théâtre, non seulement parce qu'il se refuse de respecter les règles du théâtre dit classique (comme dit plus haut), mais aussi parce qu'il met le théâtre à nu, le minimalise... pour retourner à son essence même ! Finalement, du Beckett serait bien plus théâtral que du Molière ou du Racine ! Le théâtre est à la fois la forme et le fond de sa pièce puisque même les personnages, et surtout Hamm, se prennent pour des acteurs. Cette métathéâtralité (quand le théâtre parle du théâtre, une sorte de mise en abyme si vous préférez) renforce l'importance de la théâtralité dans l'anti-théâtre beckettien.
Conclusion : Une pièce qui est accessible à tout le monde, car supposée "sans sens" (donc tout le monde part du même point, normalement). Il faut se laisser porter par la prose poétique (ou poésie prosaïque ?) de Beckett, le texte est écrit dans un vocabulaire simple, sans fioritures (encore une fois le désir de Beckett de minimaliser). Néanmoins, l'oeuvre peut vous passer à côté si vous ne possédez pas quelques clés (j'en ai donné quelques unes dans le résumé et dans mon avis) essentiels à la compréhension de l'histoire, ou plutôt des histoires (vous comprendrez bien assez tôt !). J'ai conscience que ce que je dis n'est pas très clair, mais lisez-le et vous verrez : ce n'est pas si facile d'en parler clairement. : )
Une citation de Charles Dantzig qui me semble résumer le personnage qu'est Beckett : "Beckett est un faux maigre. Il est drôle, habile, lourd. Parfois rabâcheur, gâtant certains passages, ceux où il a dû se trouver le plus drôle. Cet austère n’est pas dépourvu de complaisance. Il a des moments de sous-écrit surécrits, mais l’ironie le sauve de l’affectation."
Ma note : 15/20.

Morceau choisi : La question du sens
Hamm : On n'est pas en train de... de... signifier quelques chose ?
Clov : Signifier ? Nous, signifier ! (Rire bref.) Ah elle est bonne !

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